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Le petit monde de Lalie et sa joyeuse tribu
22 février 2008

Naissance au collège.

Voici une petite histoire très touchante que ma copine Mimosa (Nathalie) a posté et je voulais vous la faire partager.

Perdue. C’est le seul mot qui lui vienne à l’esprit quand elle évoque ses quatorze ans. Ludivine se sentait perdue. Et elle a bien failli se perdre, en effet, tant les événements l’ont à l’époque dépassée.

Les rares photos d'alors montrent une adolescente ravissante, un petit nez constellé de tâches de rousseur, une lourde frange qu’elle laisse pousser jusqu’à cacher ses yeux bleus, presque violets. Ludivine est réellement très belle. 14 ans seulement ? Elle en paraît bien plus. Presque une femme.

« C’était bien mon malheur » confirme Ludivine. « J’étais plutôt jolie, j’avais des formes. J’attirais les hommes comme un aimant. Ça me flattait, mais je ne savais pas gérer. Qui aurait su gérer, d'ailleurs, à 14 ans ? Surtout pas moi, avec mes parents si stricts, si coincés. Chez nous, on ne parlait pas de « ça », on n’envisageait même pas qu’on puisse avoir des relations avec l’autre sexe sans être marié. Je leur en ai longtemps voulu de ne pas m'avoir aidée. Je sais maintenant qu’ils étaient eux-aussi un peu perdus. Je les ai détestés, j'ai aujourd'hui de la tendresse. Je comprends mieux. »

A 14 ans, Ludivine est amoureuse. Ludivine est heureuse. Damien l’aime. C’est vrai, puisqu’il le lui a dit. D’ailleurs, il l’aime tellement, qu’il veut l’épouser. Mais attention, il ne faut pas en parler. Motus. Damien a 20 ans. Il faudra attendre les 18 ans de Ludivine. Et d’ici là, ne rien dire aux copines, ne rien dire aux parents.
C’est Damien qui le veut, Damien qui explique, Damien qui décide... alors Ludivine se tait. Elle est amoureuse. Et voilà que le pauvre Damien a un problème. Un grave problème, qui se concrétise sous la forme d’une… érection. Ne sait-elle pas, pauvre innocente, qu’il peut en mourir ?
« il a réussi à me faire croire ça, et bien sûr, il a obtenu ce qu’il voulait. Une semaine après, il est parti à l’armée. Je n’avais pas de nouvelles, je suis passée chez lui. Après tout, on était fiancés, j'avais la bague de sa grand-mère. C'était du sérieux, nous deux. A l'arrivée, sa mère a éclaté de rire. La bague de sa grand-mère ? Une breloque gagnée à la foire. Elle m'a dit : Mais ma pauvre, tu n’es ni la première ni la dernière. Allez, rentre chez toi. Il a une fiancée, une vraie, d'une bonne famille, pas une marie-couche-toi-là, il se mariera en rentrant du service, dans un an. Avec toi, comme avec les autres, il s'amuse. C'est de son âge. Rentre chez toi. »

Ludivine est anéantie. Elle comprend qu’elle a été bernée, n’arrive pas à y croire. « Je me disais, il m’aime, il n’a pas osé le dire à sa mère. Ce mariage, on doit l’y obliger. Je ne pouvais pas m’imaginer qu’il me mente à ce point. Toutes ses belles paroles. »
Alors Ludivine se tait, cache sa honte, ses angoisses, sa peur de voir s'évanouir ses rêves de mariage et de "petite maison dans la prairie". Elle attend que Damien rentre. Elle s’en rend malade. Ne mange plus. De toute façon, elle a mal au cœur, tout le temps. C’est bizarre, elle ne mange rien, et pourtant, ses jambes gonflent, sa taille s’épaissit, ses seins grossissent. Ludivine se néglige, tente d’oublier ce corps qui la gêne. Les semaines, les mois passent. Il y a bien longtemps que Ludivine a abandonné ses jupes et ses petits hauts légers pour des joggings sans forme. Ce qui nous parait évident, Ludivine n’y pensera jamais. On ne tombe pas enceinte la première fois, tout le monde sait ça, même l’ignorante Ludivine !

Ni ses parents, ni ses professeurs n’y penseront. Elle grossit, normal, c’est une ado. Elle prend des formes, elle sera ronde. Comme sa mère.

Jusqu’à ce jour de printemps, où Ludivine s’éclipse du cours de sport. Elle a mal au ventre depuis le matin. Très mal. Un genre de crampe. C’est horriblement douloureux.
Ludivine s’enferme dans les toilettes, s’accroupit. Elle a envie de hurler. Elle se tait, là encore. Personne n’entendra ses gémissements, personne n’entendra le premier cri de sa petite fille.

« J’étais perdue, tellement perdue. » Le voile de sa naïveté se déchire brutalement, tandis que son sang coule au sol. Ludivine ne se souvient pas de tout. Juste des images, des sons, des odeurs. « Je sais que j’ai coupé le cordon, que je l’ai noué, personne d'autre n’a pu le faire. Je ne m’en souviens pas. L’instinct peut-être ? Je me souviens qu'elle n’a pas beaucoup pleuré. Mais je ne saurais pas dire à quoi elle ressemblait. J'ai souvenir du placenta, j’ai cru que c’était un deuxième bébé qui voulait sortir, j’ai eu peur, je voulais mourir. »
Ludivine pose le bébé par terre, sur son sweat trop large. Elle se rince au lave-main. Que faire d’un bébé, quand on ne se savait pas enceinte le matin, qu’on a 14 ans, personne à qui parler ?

« J’ai roulé le sweat avec ma fille dedans, en nouant les manches. Elle ne pleurait toujours pas, elle respirait avec un petit bruit, comme pour dire, je suis là. Ses yeux étaient ouverts, mais je ne voulais pas la regarder. Je la voyais, mais je ne la regardais pas. Peut-être que si je ne la regardais pas, elle allait disparaître, que ce serait juste un mauvais rêve, un cauchemard stupide. Et puis, j'avais l'impression qu'elle savait, qu'elle me jugeait. Je suis retournée aux vestiaires, et je l’ai mise dans mon sac de sport. Je voulais partir. Je ne sais pas où je serais allée. J’ai traversé la cour, et je me suis évanouie. »

Ludivine reprend ses esprits à l’infirmerie. Les pompiers sont là, ils emmènent sa fille. Et pour elle, tout devient clair. « Une minute avant, je ne savais pas ce que j’allais devenir, ce que j’allais faire de ce bébé. Je crois que si j’avais pu sortir du collège, je me serais jetée au canal avec ma fille. D’un seul coup, en voyant ces hommes qui allaient l’emporter, j’ai compris que rien ne pourrait nous séparer. C’était MA fille. Mon Elise. »

Et elle va se battre, la petite Ludivine. Envers et contre tous. Contre l’infirmière, d’abord, et le principal, qui veulent l’empêcher de suivre sa fille dans l'ambulance, contre ses parents ensuite, qui voudront la forcer à faire adopter la petite, et finiront par l’envoyer vivre dans un foyer « pour les filles comme elle. » Contre les assistantes sociales, contre le regard de la société. Contre la famille du père de l’enfant, qui commencera par dire « ce n’est pas à nous ce truc là » et essayera par la suite d’obtenir la garde de « ce truc là ».

Elle va se battre, la petite Ludivine. Elle va se battre toute seule, et elle va gagner. Haut la main. Sa plus grande fierté ? Voir Elise, celle dont tout le monde prédisait qu’elle finirait nécessairement mal, porter la longue robe noire des avocats. « Elle a réussi mon Elise. Elle ne s’est pas perdue en route, et moi non-plus finalement. »

Un tout petit regret, tout de même. A 43 ans, Ludivine aimerait bien être grand-mère… mais Elise n'est pas pressée.

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Commentaires
S
Waouhhh, je ne sais pas quoi dire ! l'amour d'une mère pour sa fille, envers et contre tout, c'est magnifique !
C
ben vas-y prends l'histoire de ma boite à bisous et le moral des copinautes sera largué pour toute la semaine .....Lol
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